Arroseur arrosé
Arroseur? Pourquoi ce terme? Que veut-il dire? D'où vient-il?
Il me vient d'un rêve. Un rêve ancien, mais toujours d'actualité.
A l'époque je venais successivement d'arrêter ma carrière de
"Handballeur de haut niveau" et mes études de sociologie. "Quand t'as
pas de but dans la vie t'es perdu" est un des credos en place dans
notre bienheureuse société, et en ces temps reculés (ce devait
être en 1999) j'adhérais aveuglément à ce precepte idiot. Résultat:
j'étais perdu.
Je cherchais une bouée de salut à
laquelle me raccrocher. Une mission, plus que tout, je voulais une
mission à accomplir. Quelque chose à faire de ma vie pour lui donner un
sens. Mais pas n'importe quoi, non, j'étais déjà trop fier pour cela,
il n'était pas question de faire n'importe quoi comme n'importe qui...
Ce que je voulais c'était connaître ma mission
particulière, "ma vocation". J'étais convaincu qu'une place douillette
m'étais tout spécialement réservée dans cette chère société
si bienveillante et acceuillante; il fallait que je trouve "le
métier qui me corresponde", la "place qui me convienne"....
Mais là quand même, ma vocation se faisait attendre: "sportif de
haut niveau" - non, éthnologue -non, conteur-non... je commençais à en
avoir assez de jouer à cache-cache avec "Ma" mission... en parfait
petit capricieux j'invectivais plus que j'invoquais les dieux et la
société: "mais qu'est-ce que vous foutez bon sang! j'ai pas que
ça à foutre en ce bas monde! indiquez moi la marche à suivre! alors?!
c'est quoi mon sillon rassurant dans lequel je dois m'enfermer?! Quel
rouage suis-je dans cette mécanique qu'est l'univers et la société?
Allez plus vite que ça!!"... Mais voilà, personne ne daignait me
répondre.
La pression familiale était à son comble, mon entourage
faisait preuve de toute l'incompréhension dont il était capable face à
mes choix vie "surprenants".
Personnellement j'étais juste mû (je
le suis toujours) par cette certitude chevillé au corps "qu'on est pas
en vie pour se faire chier", et qu'il est totalement insensé -voire
suicidaire- de continuer une activité quand elle ne nous plaît
pas. A quoi bon s'entêter à poursuivre son malheur? Pour être heureux
plus tard? pendant le week-end de la pentecôte? les vaccances à
Honolulu? à la retraite dans 27ans et trois mois ? dans l'après-vie au
paradis?...Toujours vivoter dans l'espoir d'un jour et d'un monde
meilleur. Jamais vivre pleinement.
Bref, pour en revenir à nos moutonades, j'étais un brin paumé et j'attendais ma "bonne fortune" avec impatience.C'est dans ces conditions que j'ai eu un rêve qui m'a tout tourneboulé. Au réveil j'étais jaillissant d'énergie, pépiant d'enthousiasme comme un bambin à la veille de nöel. Mon rêve m'avais éclairé, comme promis j'allais trouver une place rayonnante au sein de la société, et je n'allais pas faire n'importe quoi: j'allais devenir arroseur...
Arroseur...mon rêve se passait dans un parc, avec des gens, des
plantes, des arbres, des allées, des bassins...un parc. Je me souviens
qu'il n'y avait pas d'alcool dans l'enceinte de ce parc, non pas qu'il
était interdit, mais qu'il n'y en avait pas besoin... Mon rôle dans ce
parc c'était de me promener avec le tuyau d'arrosage, d'arroser les
plantes, les gens, les arbres. Parfois les promeneurs farceurs me
piquaient le tuyau et m'arrosaient copieusement. Le tout dans une
ambiance bon enfant, d'amusement, enchantée, une ambiance "à la Charlie
Chaplin" (c'est ce que je me disais dans le rêve). Il y a juste eu une
femme d'un certain âge qui m'a dit de ne pas oublier d'arroser un
certain arbre, je lui ai répondu que je l'avais déjà fait d'un ton sec
et peremptoire genre "marche pas sur mes plattes bandes, accupe toi de
tes oignons roses" (en sus, je crois que j'avais pissé sur cette arbre)...
Sur la fin de mon rêve, j'étais
tellement enchanté par ce rôle, par ce nouveau "métier" que j'allais
trouver les trois responsables du parc -mes "embaucheurs" en quelques sortes- pour leur
demander naïvement: "Comment fait-on pour devenir arroseur?
Quelles études? quelles formations?" Ils me répondirent en se moquant
de mon empressement et de ma candeur "Il n'y a pas de diplôme ou de
formation pour devenir arroseur. Pour être arroseur il faut être
bricoleur."Ils rigolèrent.
Puis je me réveillai.
Lorsque mon enthousiasme s'amenuisa un tantinet, un filet de perplexité s'immisça en moi: arroseur, qu'est-ce à dire ?
Certes il y avait les impressions transparentes liées au rêve: que arroser est
une activité "naturelle", qui ne me demande pas plus d'effort que ça,
qui trouve
un écho positif chez les autres et qui développe une convivialité et
une complicité de bon augure (ce qui rend flou -voire efface- les notions
de "rôle", ou de "pouvoir" -quasi omniprésentes dans "l'exercice d'une
fonction" bien définie.) ; que cet arrosage
est sûrement l'expression personnelle et commune d'une énergie
"libératrice" -qui fait du bien- car dans le rêve l'absence d'alcool
dans ce parc signifie que c'est un espace où il n'est pas nécessaire de
faire appel à des agents désinhibiteurs étant donné que la
désinhibition -le lâcher-prise régulateur sans se soucier de
quand-dira-t-on - semble être la raison même d'exister de ce lieu et de
cette activité; que je peux me comporter comme cela me chante
(l'épisode de l'arrosage de l'arbre), en improvisant au gré, sans avoir
de compte à rendre à personne...
Le pied suprême
certes... mais concrètement, qu'est ce que cela recouvre dans la
réalité? On m'a donné tous les ingrédients, pas la recette. Au
contraire, la phrase "pour être arroseur il faut être bricoleur", se
réfère au concept de "bricolage" utilisé en l'anthropologie, c'est à
dire "se débrouiller avec les moyens du bord"...Bref, le message
général du rêve est : "ça promet mais démerde toi".
Aujourd'hui, sept ans plus tard, je n'ai
toujours pas d'idée clair sur ce que c'est arroser ou être arroseur,
mais si par le passé j'ai parfois perdu mon temps à me creuser le crâne
pour essayer de savoir ce que cela recoupait exactement dans la sacro-sainte réalité,
aujourd'hui je m'en moque; car j'ai de plus en plus l'impression
d'arroser -et donc d'être arroseur- sans pouvoir l'expliquer.